Source :
http://www.verre2terre.fr/2012/03/labet-bio-2012/Les Labet seront certifiés bio en 2012
Mis en ligne le 2 mars 2012 par Florence Kennel
Charline, Romain et Julien, les trois enfants Labet, s’apprêtent à succéder à leurs parents, Alain et Josie, qui partent à la retraite.
Entre deux rendez-vous chez le notaire, ils préparent aussi le discret virage de la maison familiale vers la bio : ça y est, trente ans après un essai de leur père, ils y reviennent !
Alain Labet fut l’un des pionniers de la bio dans le Jura
Le paradoxe des Labet, c’est qu’Alain, le père, fut l’un des précurseurs de la bio dans le Jura, se lançant dans les années 70 à une époque où personne n’y croyait, ou presque… Avant d’abandonner ce pari et de revenir à une viticulture conventionnelle. De cette aventure « verte », Alain Labet a gardé pas mal de méfiance envers les phytos, et les seuls qu’il s’autorisait, c’étaient les désherbants. L’herbe ! Ennemie du vigneron, elle concurrence les raisins à la recherche des nutriments du sol. Passer en bio, c’est passer sa vie à se battre contre elle. Douze hectares, deux bras : Alain avait laissé tomber.
La certification bio pour le petit domaine de Julien
Mais, trente ans après, alors que dans le Sud-Revermont la bio connaît un essor inégalé, les Labet se retrouvaient donc à contre-courant de la mode. Une position pas facile à tenir, mais qui sera bientôt résolue, puisque le prochain millésime 2012 sera celui de la certification bio du micro-domaine de 3 hectares que le fils aîné de la famille, Julien, a développé aux côtés de celui de son père, et qui sert de laboratoire d’essais aux 9 hectares restants de la famille.
La bio, l’herbe et les rendements
« Depuis que je suis passé en bio (en 2007 NDLR), mes rendements ont chuté », reconnaît Julien, 39 ans. « J’obtiens 15 ou 20 hl/ha, même sur des années comme 2011 où la vigne a été généreuse pour tout le monde. Ce n’est pas viable, ni économiquement, ni physiologiquement. Une vigne qui souffre trop ne donne pas de bons vins. Alors je fais des apports de fumier bio. J’utilise la prêle, l’ortie, l’osier, la silice… Mais quant à passer en biodynamie, non, j’attends. » Et sa soeur Charline de renchérir : « il faut laisser à la vigne le temps de s’adapter ! Le passage à la bio, à cause du travail de sol que ça amène, malmène les racines superficielles de la vigne, l’obligeant à aller chercher de l’eau plus bas, mais ça la secoue, alors il faut la laisser récupérer ».
L’ouillage, l’autre tradition du domaine
Charline et Julien se disent« interchangeables » : tous les deux vinifient. Tous deux de fortes personnalités : Charline, regard bleu vif, déploie un grand rire franc et ne s’en laisse pas conter par son grand frère, de cinq ans son aîné. Mais le duo fonctionne bien, on les sent respectueux de la parole de l’autre. Quand ils se coupent la parole, ils se demandent pardon l’un à l’autre… et écoutent réellement l’autre parler.
L’autre fils de la famille, Romain, s’occupe davantage des vignes (mais n’était pas là le jour où je suis passée). Et tous trois cultivent le profond amour des terroirs que leur père leur a transmis : Alain, pionnier de la bio, fut l’un aussi de ceux à isoler ses cuvées, dès 1986, avec l’idée d’ouiller les vins pour qu’émerge, dans le verre, une typicité liée au terroir plutôt qu’un goût uniformément oxydatif. « Il s’est rendu compte que l’oxydation nivellait les terroirs », explique Julien. Ce fut le début de la cuvée « Fleur de marne ». Mais à cette époque, Alain travaillait encore en foudres, alors ouiller des foudres… Pas évident de bien les surveiller. Il ouillait donc plus ou moins régulièrement.
Deux terroirs fétiches
Julien Labet - Rotalier, 2012
—Julien Labet tenant un morceau de Bajocien extrait de Varrons
Six ans après, en 1992, Alain Labet lance « Fleur de chardonnay » et commence à préciser l’ouillage. Mais c’est en 1997, avec l’arrivée de Julien sur le domaine, que la technique se peaufine. Julien, qui a fait ses stages en Bourgogne, veut des pièces de 228 litres : exit les foudres, voilà des tonneaux dont il sera maintenant facile de refaire les niveaux. Les vins vont gagner en fraîcheur et en précision (une fois passée l’époque du fût neuf qui boise les vins !), mettant ainsi en valeur Chalasses et Varrons, deux parcelles emblématiques du secteur.
•Chalasse : sol de marnes du lias. Argileux. A la dégustation, les chardonnay sont ronds, opulents, un peu monolithiques dans ce côté massif. Ces terroirs réussissent mieux au savagnin, naturellement acide et incisif, qui trouve ici une opulence supplémentaire. La Fleur de savagnin 2010 Chalasse de Julien Labet est à cet égard une brillante démonstration de ce que le savagnin arrive à produire ici : un nez explosif de bergamote, d’épices, pêchu, dynamique, une bouche exubérante, fruitée, une finale dense et nette. Quel charme ! (13€ départ cave)
•Varrons : du calcaire, des sols peu profonds, des vins rigoureux, minéraux. Précision : le domaine possède deux types de calcaire :
1.du Bajocien, un calcaire rouge tendre, qu’on raye au doigt, et qui se délite au fil des temps géologiques (des centaines de milliers d’années) en un sol rouge, argileux et siliceux, abrasif. C’est un terroir typique de Varrons.
2.Mais aussi du Bathonien, une roche blanche, dure, qui forme les crêtes hérissées des falaises du secteur. Dans de rares endroits, à l’occasion d’une faille, ce Bathonien s’est retrouvé au niveau des vignes, à 300m d’altitude : c’est le terroir d’une partie de Varrons, ou de la Bardette.
Les Labet testent aussi les vins sans soufre
L’autre recherche de Julien et Charline, c’est le sans soufre. « On aime les vins qui ont de la définition, de l’esthétisme », explique Julien. « Sur le sulfitage, on est très méfiants. 2009 a été pour nous un tournant puisqu’on a arrêté le sulfitage systématique à la réception des raisins. Avant, on n’osait pas franchir le pas. On a vu cependant que, contrairement à nos craintes, des moûts sortis de pressoir bruns se rafraîchissaient pendant l’élevage. Mais on se méfie quand même. A la mise en bouteilles, c’est délicat. Le vin sans soufre est magnifique dans sa jeunesse, mais vieillira-t-il bien ? »
Julien est en train de peser le pour et le contre. Sa dernière théorie, partagée par sa soeur, c’est de dire : « soit on met zéro soufre, soit on met la dose. Mais en mettre un tout petit peu, ça ne sert qu’à détruire les défenses naturelles que possède le vin contre l’oxydation, sans lui donner la possibilité de la combattre chimiquement. » Précisons que les Labet sont les spécialistes du vin blanc, et que le rouge représente au plus deux hectares sur 12 : le problème est donc de savoir si on laisse un vin naturellement plus fragile qu’un rouge se défendre seul, durant la dizaine d’années que peut durer un vieillissement en bouteilles…
Goûtés une semaine après leur mise en bouteilles, les 2010 de Julien Labet, « nature » (zéro soufre en vinif + MEB) éclatent de fruit et de fraîcheur. Générosité, expressivité, le sans soufre est accessible en primeur. La version sulfitée est plus brouillonne, plus dissociée. Le fruit s’installe par petites touches, citron, réglisse sur la Fleur de chardonnay du domaine Labet : tout reste à mettre en place, à unifier.