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Bordeaux 2007 - Le gentil millésime par Jacques Dupont

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Sam 17 Mai 2008 17:22

Fin août, la plupart des producteurs pensaient que la récolte était perdue. Septembre les a sauvés. Bilan : un rouge sympathique, fruité, mais pas une année de garde. Et de grands liquoreux.

Quand on demande aux vignerons : « A quel millésime ce 2007 vous fait-il penser ? », les réponses sont pour le moins variées. Le plus souvent cité : 1999. C'est aussi le plus récent. Xavier Planty, de Château Guiraud, à Sauternes, évoque, lui, 1906 ! Pourtant Xavier, vigneron chevronné mais quinqua débutant, devait être bien jeune en 1906... D'autres, c'est le cas de Jean-Pierre Hugon, à Marquis de Terme, parlent de 1998. Patrick Maroteaux, propriétaire de Branaire-Ducru, précise que 2007 « fait partie du haut du deuxième groupe : 2006, 2004, 2001, 1996 ». C'est-à-dire qu'il le situe au-dessous de 2005 ou de 2000 (premier groupe), mais bien au-dessus du charmant 1997, du délicat 2002, de l'austère 1994 ou de l'horrible 1992... Les vins ne sont pas encore vendus, il s'agit de ne pas dévaluer la marchandise. Rares sont les personnes chargées de vendre une auto d'occasion qui affirment : « Elle n'a rien dans le moteur et les amortisseurs sont en réanimation ! »

En réalité, 2007 est un petit millésime pour les rouges. Encore faut-il s'entendre sur l'adjectif. Un « grand », c'est à Bordeaux un vin de longue garde. Avec, comme atouts principaux, des tanins mûrs qui lui assurent de la chair et de la structure, de l'acidité pour la fraîcheur et la durée, et un taux d'alcool pas trop élevé pour qu'il ne prenne pas l'ascendant sur les deux autres et sèche le vin. Le maître mot, c'est l'équilibre. Quand il est parfait, comme en 2005, ou très réussi, comme en 2000, nous avons affaire au très grand millésime, voire à l'exceptionnel. Après, il y a les bons ou très bons millésimes. Comme 2001, un peu méprisé par l'international-il arrivait après 2000-, mais là aussi très bien équilibré, des tanins moins drus qu'en 2000 mais une très belle gamme aromatique. Ou 2004, tout en fraîcheur, pas très épais, un peu sérieux, mais d'une belle finesse. Ce sont des vins de moyenne garde. Le nouveau venu, 2007, sera un peu au-dessous de ces deux-là. De petite ou moyenne garde. Nous aurions tendance à le ranger, pour reprendre l'image des groupes, dans celui où se trouvent 2002 ou 1997. Des vins qui font leur temps, des rouges de cycle court mais qui donnent beaucoup de plaisir tant qu'ils sont à leur plénitude.

L'an passé, Anthony Barton (Château Léoville-Barton) avait émis cette sentence pleine de bon sens : « On ne peut pas faire des vins exceptionnels tous les ans, sinon ils ne seraient pas exceptionnels ! » C'est très vrai en ce qui concerne 2007. Une nuance pourtant : le même millésime récolté dans les années 70, ce serait du 1972 ou du 1977... Affreux !

Là, pas du tout. Sur toute cette période passée à déguster (cinq semaines), nous avons trouvé peu de vins franchement mauvais. La raison en incombe aux progrès réalisés dans la culture de la vigne depuis quinze ans. Très récemment, donc. Rien à voir avec l'oenologie. Les grands chambardements oenologiques, c'est-à-dire tout ce qui touche au travail du vin proprement dit, se sont déroulés dans les années 80. Depuis, on a digéré ces nouvelles méthodes, destinées le plus souvent à extraire davantage de matière... Elles donnaient l'illusion qu'on pouvait bouger ce fameux équilibre, compenser ce que la nature n'avait pas donné, en allant chercher plus de tanins, d'alcool, de couleur. Malheureusement, ces vins-là ne tiennent pas dans le temps. Ils font illusion quelques années, le temps de recevoir de belles notes, puis ils s'effondrent, deviennent grossiers. Souvent, les professionnels qui ont cru à ces mirages ont fait un ou deux pas en arrière. Il est amusant de constater que Pétrus, par exemple, vinifié pour la dernière fois en 2007 par Jean-Claude Berrouet, était considéré par les tenants de l'oenologie « moderne » comme un vin un peu ringard, et Berrouet comme un sympathique témoin du passé. Jamais Berrouet, à la retraite cette année, n'a été autant louangé par ceux-là mêmes qui le critiquaient. Lui n'a jamais changé : extraction douce, usage modéré du bois neuf.

Le bouleversement-ce qui fait que l'on peut avoir des « petits » millésimes mais plus rarement des mauvais-vient des soins apportés à la plante. En 2007, c'est exemplaire. Toutes les conditions étaient réunies pour une vendange catastrophique, voire une non-vendange. Début de printemps précoce suivi d'un mai pluvieux : la floraison traîne en longueur. Avec pour conséquence, quelques mois plus tard, une maturité des grappes inégale, des baies roses ou vertes mêlées aux baies noires et mûres.

L'humidité ambiante déclenche des attaques de mildiou comme on n'en avait pas constaté depuis 1977... Juillet et août sont minables, froids, humides mais sans pluies véritables, sauf fin août, où des orages déclenchent le botrytis, la pourriture grise, qui se développe plus facilement quand les grappes sont serrées et la récolte abondante. En 2007, elle l'est. Puis, soleil en septembre et octobre, mais, sur le papier, c'était trop tard. Avec de telles données, n'importe quel pro d'autrefois aurait dit : c'est fichu ! La différence, c'est qu'aujourd'hui on a acquis un savoir-faire qui permet de retenir le mildiou, d'éviter le développement du botrytis et de préparer la vigne (éclaicissage, effeuillage...) à bénéficier d'un soleil de fin d'été, moins puissant que celui de juillet et août, moins efficace dans la maturité des baies et de ses composants (c'est d'ailleurs pour cela que le millésime n'est pas grand), mais tout de même salvateur.

Tout cela est valable pour les rouges, et encore, pas pour tous. Pomerol et ses terroirs précoces ont fait du grand vin. Les plus beaux terroirs du Médoc s'en sortent bien. La précocité a joué aussi en faveur de Haut-Brion, qui possède toujours, grâce à son microclimat, deux semaines d'avance sur le nord du Médoc.

Côté blancs, en revanche, rien que du bon. La fraîcheur de l'été a préservé les arômes et maintenu une bonne acidité pour les secs.

En liquoreux, du côté de Sauternes, Barsac et compagnie, c'est tout simplement fabuleux. Tout ce qui a joué en défaveur des rouges a été bénéfique pour ces grands blancs, ou presque. La floraison paresseuse ? Impeccable... « Cela donne des raisins de différents âges et maturités », dit Francis Mayeur, de Château d'Yquem. Avec des vendanges étalées dans le temps, de la mi-septembre à presque fin novembre, et du bon botrytis-ce que l'on appelle la pourriture noble-, les châteaux ont multiplié les passages dans les vignes. Cinq pour Climens et jusqu'à sept chez Yquem. De la concentration, de la fraîcheur et une complexité aromatique qui dépasse celle obtenue en 2001. Au Château Sigalas-Rabaud, le comte Gérard de Lambert des Granges, héritier de « Mademoiselle de Sigalas », s'enthousiasme : « J'ai 77 ans et j'ai vu passer 57 vendanges. 2007 fait partie des meilleurs millésimes en sauternes. Il n'a pas la splendeur du 2001, mais il a plus de charme, et il est bien supérieur au 2003,qui, finalement, a été déséquilibré par la canicule. »

Reste le problème des prix. Comment vont-ils s'établir cette année, après les hausses vertigineuses appliquées au millésime 2005 ? La logique voudrait qu'à grand millésime prix fort et à petite année prix léger. Ce n'est pas aussi évident. D'abord, il y a ce contexte international où fleurissent partout nouveaux riches et fortunes colossales, amassées en quelques trimestres. Chez ces gens-là, on ne compte pas, Monsieur, on étale. Les grands crus de Bordeaux en ont bien profité, et même si chez les Américains le dollar est en faiblesse par rapport à l'euro, il nous reste les autres, ceux de Chine, de Russie et d'ailleurs... Puis il y a un phénomène nouveau à Bordeaux, dans les très grands crus : « On a de moins en moins de vrais propriétaires comme interlocuteurs dans les châteaux, mais des gérants qui rendent des comptes à des actionnaires », constate François Lévêque, président des courtiers de Gironde. Les courtiers, chargés de faire l'interface entre la propriété et le négoce, sont inquiets. Dans beaucoup de domaines célèbres, repris ces dernières années par des financiers, industriels, fonds de pension, compagnies d'assurances, la notion de millésime est remplacée par celle-assez éloignée du mildiou et du beau temps-de retour sur investissement... « Avant, on avait des familles qui connaissaient Bordeaux et le marché, et savaient ce qu'il fallait faire. Nous, on leur explique qu'ils n'ont pas intérêt à garder des 2007... » Mais après, il y a un actionnaire, loin de Bordeaux, qui pense avoir un bon vin et n'a nulle envie de le brader, au vu des investissements qu'il a dû faire pour le produire. Car un millésime comme 2007 a un coût beaucoup plus élevé en main-d'oeuvre dans la vigne qu'un 2005, qui s'est fait tout seul et s'est vendu très cher... L'un compense l'autre, en vieux bon sens paysan, mais là nous ne sommes plus chez les paysans !

Rassurons-nous, il y aura tout de même de bonnes affaires à réaliser avec 2007. « On a commencé à mettre en marché des marques comme Beychevelle, Sociando-Mallet, Cantemerle. Ils subissent entre 5 et 10 % de baisse. Ce n'est pas énorme, mais ce sont ce que nous appelons des crus de consommation, que le client particulier achète entre 20 et 30 euros. Il y a une forte demande sur le marché français et européen pour ces vins-là. Ils n'étaient pas très chers, c'est normal qu'ils baissent peu... »

Les opérateurs sont plus inquiets pour les « grosses marques », ce qu'on appelle les super-seconds : Cos-d'Estournel, Ducru-Beaucaillou, les deux Pichon, Angélus, etc. « Il y a un bras de fer entre propriétaires et négociants, comme d'habitude », dit encore François Lévêque. Peut-être un peu plus tendu que d'habitude. D'autant qu'entre crus aussi la rivalité et les questions d'orgueil sont de la partie. Pour quelques centimes d'euro de différence, l'un plus cher que l'autre, on n'hésite pas, parfois, à sortir les noms d'oiseau et à s'envoyer des mails incendiaires.

Du côté du négoce, on est encore plus pessimiste : « Je la sens très mauvaise, cette campagne, affirme Jean-Pierre Rousseau, de la société Diva. Les Américains ne vont pas acheter, car ils n'achètent que des bons millésimes, et le change est vraiment trop défavorable. Les Anglais ne vont pas acheter, car c'est un marché de revente. Ce qu'on appelle les "brokers", qui achètent pour revendre, ne vont pas y aller, car ils pensent que ce n'est pas un investissement idéal. Les Japonais ont du mal à digérer le 2005, et ils ont toujours 2006 à vendre. Avec leur monnaie fortement dévaluée, ils paient plus cher en yens les 2007 que les 2005... »

Si ces vins ne trouvent pas preneur ou s'ils encombrent trop longtemps les chais des négociants, nous les retrouverons dans quelques années bradés dans les foires aux vins, comme naguère les 1984, 1987 et 1997, vendus trop cher au départ, puis dispersés quelques années plus tard à bas prix. En attendant, on peut se régaler des « petits crus » raisonnables ...


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