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L'évolution vers des vins + concentrés est-elle un gage qual

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mer 23 Août 2017 16:59

Hervé Romat, œnologue-conseil à Bordeaux, livre ses impressions à la suite de l'émission "Le téléphone sonne" du 15 août sur France Inter, intitulée "Quand le changement climatique modifie la production de vin".

À la suite de l'émission Le téléphone sonne du 15 août sur France Inter, Hervé Romat, œnologue-conseil à Bordeaux et aussi en Espagne, copropriétaire de Château Grand-Maison en côtes de bourg, nous a fait parvenir le texte suivant : intéressante contribution à la compréhension des « modes » dans le vin. Équilibre, trompe-l'œil (et la bouche), qualité pour durer, etc.

« Au commencement de la qualité était le New French Claret !… Ainsi, dans l'histoire du vin, l'évolution majeure qualitative se situe au XVIIe siècle, dans la reconnaissance d'un nouveau style de vin comme symbole de l'excellence, par le vin du château Haut-Brion, propriété d'Arnaud de Pontac. La qualification de ces vins était quasiment sémantiquement contenue dans la dénomination de Claret : l'historien René Pijassou a décrit qu'à cette époque les vins du Bordelais étaient en général assez peu colorés et peu tanniques… La qualité suprême d'un vin était reconnue dans l'élégance, avec des styles issus de quantités tanniques peu importantes (comme les bourgognes), qui en faisaient des vins reconnus pour leur potentiel de vieillissement, et que l'on peut encore apprécier dans les vieux millésimes des meilleurs crus. Dans ce sens, le Château Cheval-Blanc, par exemple, n'a jamais été un vin concentré et reste toujours une des plus grandes références mondiales de la qualité. Cependant, tout évolue… et ainsi les années 1990 ont apporté de nouveaux critères de qualité (avec en particulier de nouveaux journalistes et critiques influents…). La puissance (couleur, structure et boisé) s'est peu à peu imposée pour finalement signifier au fil des dernières années une qualité présupposée, sans forcément s'attacher à la stabilité et la pérennité de l'expression, de l'équilibre et de la perspective de vieillissement.

La concentration est-elle logiquement signifiante de la qualité ? Non, pas systématiquement, même si la réponse n'est bien entendu pas si simple et ne peut pas être que dans la négative, car le vin est un liquide complexe. Il contient en particulier des composants dits colloïdaux, en équilibre entre liquide et solide, dont en particulier les composés phénoliques, donnant couleur et structure tannique. Ces éléments polyphénoliques colloïdaux proviennent des raisins (provenant de la qualité des terroirs), mais sont extraits par la vinification-macération. Les plus nobles par leur extraction de la pellicule et partiellement des pépins pour les moins nobles. Ainsi, une macération trop longue en présence d'un degré alcoolique trop élevé peut très vite extraire trop et proportionnellement pas les plus nobles éléments…

Par ailleurs, une fois extraits, ces composés colloïdaux doivent être stabilisés par l'élevage, ce qui nécessite du temps, des observations attentives et un savoir-faire certain. Ainsi, on s'aperçoit que, dans de très nombreux cas, les vins concentrés sont les plus instables, provoquant des précipitations de matière colorante durant l'élevage qui finissent dans les lies, et ne peuvent donc pas se retrouver en bouteilles. De plus, ces précipitations affectent non seulement la couleur (évolution, profondeur) et la structure tannique (équilibre, densité), mais aussi une partie de l'expression, de la complexité, de l'équilibre, de la longueur et du potentiel de vieillissement. Dans une certaine vague course à la qualification quasi impérative « en primeur », il y a eu peu de questions pour savoir si tout ce qui a été extrait, d'une part, était nécessaire à l'expression qualitative, d'autre part, si on allait bien tout mettre-retrouver en bouteilles, et enfin, comment cela évoluerait dans le temps.

En conséquence, s'il est assez facile de faire des vins d'apparat, concentrés (vendanges sur mûries, extractions poussées et assemblages « valorisants »), il est d'autant plus difficile d'obtenir que ces vins se retrouvent à l'identique en bouteilles. Surtout dans les cas où l'élevage et la préparation à l'embouteillage sont négligés. L'unique richesse ne peut se substituer à la réalité d'une complexité stable et d'un potentiel de vieillissement, reconnu depuis très longtemps. L'élaboration de vins de qualité nécessite la connaissance de ces éléments pour obtenir un équilibre naturel et une stabilité pérenne. On pourrait ainsi estimer que la qualité des vins décrite en vins jeunes devrait être conditionnée à une vérification-contrôle des vins en bouteilles pour attester de leur qualité réelle.

Même si le temps court et l'instantané sont dans nos réflexes actuels, les grands vins devraient s'inscrire dans un temps d'élevage et dans une évolution positive en bouteilles. Ils ne peuvent pas être réduits à des additions arithmétiques d'extraction ou d'assemblage et doivent perdurer dans la recherche de complémentarité, de stabilité et d'équilibre, avec un potentiel de conservation et de sublimation par le vieillissement.

Il ne faut donc pas faire confiance aux apparences. Et prendre la concentration pour une qualité absolue. Il convient donc de toujours s'efforcer de découvrir sous l'opulence la réalité qualitative…

Émile Peynaud en son temps, thème souvent repris par Denis Dubourdieu, disait d'un vrai grand vin que l'essentiel de la qualité n'était pas forcément dans la richesse mais surtout dans l'élégance et l'équilibre. J'ajouterai que le corollaire de cette exigence nécessaire, de plus en plus d'actualité car plus tout à fait suffisante, est que la conservation des qualités et de leur stabilité pour la meilleure évolution en soit la quintessence ! »

Contact : romat@herve-romat-conseil.fr

Source : Hervé Romat
http://www.lepoint.fr/vin/l-evolution-v ... 42_581.php
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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Re: L'évolution vers des vins + concentrés est-elle un gage

Messagepar Thierry Debaisieux » Mer 23 Août 2017 17:08

Merci pour ce lien, Jean-Pierre.
Un article que je trouve très intéressant pour ceux qui comme nous ont pu voir l'évolution du style des Bordeaux depuis les années 60-70.

Amitiés et
Bien cordialement,
Thierry Debaisieux
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Re: L'évolution vers des vins + concentrés est-elle un gage

Messagepar Laurent Saura » Mer 23 Août 2017 18:21

Le monde est petit ;)

On connait bien Hervé Romat ici à Bourg ;)

Amitiés,

Laurent
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