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Saint-Émilion : questions pour un classement

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Dim 28 Avr 2013 18:43

Un excellent article de Jacques Dupont

Trois crus déchus du classement décennal des vins de Saint-Émilion, ont déposé plainte lundi. Retour sur les critères d'un classement qui fait polémique.

Hors polémique que ce classement aura beaucoup du mal à éteindre, il y a véritablement une seule question à laquelle ceux qui l'ont initié devraient répondre : pour qui a-t-il été fait ? Pour les consommateurs afin de les éclairer dans leur choix ou pour satisfaire et récompenser les professionnels, producteurs, propriétaires ? Autant dans cette dernière hypothèse, un classement décennal fut autrefois une bonne initiative pour installer une saine émulation entre domaines, autant aujourd'hui avec les prix atteints par le foncier et les enjeux économiques que représente une place parmi l'élite, ou, à l'inverse une rétrogradation, le dispositif devient dangereux et source de pressions et manipulations. Quant au consommateur, il semble bien dans cette affaire figurer la fameuse cinquième roue du chariot. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau et le cas n'est pas unique dans le dispositif du vin à la française.

Pour le client, qu'il soit français, belge ou chinois, quelle est la vraie bonne information espérée ? Quelle différence espère-t-il entre un saint-émilion (ou un saint-émilion grand cru, c'est équivalent) et un saint-émilion grand cru classé ?

Deux éléments apportent la réponse : la qualité du vin et la grandeur du terroir qui l'a porté, lesquels sont intimement liés à la durée de vie de la bouteille.

L'auteur de ces lignes est assez bien placé pour en témoigner, la première question que pose un amateur débutant quand on lui recommande un vin est la suivante : est-ce qu'il se garde ? Même si le vin en question sera bu dans les trois mois, la garde représente la garantie suprême du grand vin produit sur un grand terroir.

Comment détermine-t-on un très grand vin ?

Le choix qui détermine l'acte d'achat n'a que peu à voir avec certains critères retenus par le classement actuel. Savoir si la propriété possède une salle de séminaire, des chambres d'hôtes, dispose d'une hôtesse à plein temps ou distribue des brochures en plusieurs langues, l'amateur de vin s'en fiche comme de son premier soda. Cela répond à une autre demande, celle de l'oenotourisme, jusqu'à présent assez négligé chez les Bordelais. S'en préoccuper davantage aujourd'hui relève du bon sens commercial et ne peut que réjouir les visiteurs éventuels et fâcher un peu l'hôtellerie qui peut y voir une concurrence déloyale, mais de là à intégrer ces demandes dans un classement dont on attend surtout qu'il dresse la liste des meilleurs...

Prenons le cas de Figeac. Nombre de professionnels connaissant bien Bordeaux s'accordent à reconnaître que si l'on organisait demain une vaste dégustation des 40 ou 50 derniers millésimes des "grands" de Saint-Émilion, ce château arriverait premier, peut-être à égalité avec Ausone, surclassant Cheval Blanc, qui a subi quelques passages à vide naguère dans son CV, mais largement devant Pavie ou Angélus, promus cependant en catégorie A, lors de ce dernier classement. Pourtant, Figeac est demeuré lui en série B...

Cela pose problème. Comment détermine-t-on un très grand vin, de ceux comparables à Latour, Haut-Brion, Mouton, Lafite ou Margaux puisque, en l'occurrence, c'est de cela qu'il s'agit pour cette catégorie A ? À partir d'une dégustation sur seulement 10 millésimes ou davantage ? À partir de critères où cette dégustation ne compte que pour 30 % de la note ? Parce qu'il a été moins malin dans l'exercice de jonglage avec les prix que ses voisins ? Répondre oui comme le fait le règlement de ce classement, c'est nier que ces grands vins ont bâti leur réputation sur leur longévité, leur capacité à traverser le temps et les époques.

Un avertissement resté lettre morte

Encore une fois, d'un point de vue consommateur, il nous semble qu'il eût été plus judicieux de s'intéresser plutôt à ceux qui limitent les intrants dans les vignes, les produits chimiques, et de valoriser les domaines engagés dans une démarche bio... L'un des recalés les plus actifs dans la contestation, Croque-Michotte, est certifié bio Ecocert depuis 1999, mais ce critère, d'après le propriétaire Pierre Carle, n'a pas été retenu par le bureau Véritas en charge des enquêtes.

Le questionnaire établi par Véritas avec l'accord du conseil des vins de Saint-Émilion comporte 68 items. Les sols, évidemment, y tiennent une place importante. Il y a 24 ans, en 1989, une carte géologique a été établie par le remarquable Cornelis Van Leeuwen, Kees pour les amis, professeur à l'école d'ingénieur ENITA de Bordeaux. Elle date un peu désormais, car après qu'il l'eut réalisée, plusieurs propriétaires ont effectué des travaux de drainage pour éliminer des nappes d'eau souterraines (zones hydromorphes) peu favorables au grand vin. Kees précisait dans l'introduction au texte d'accompagnement : "La cartographie regroupe les sols en comparant certaines de leurs caractéristiques à un nombre défini de références. Elle ne peut avoir la finesse d'une étude de quelques sites bien précis. Par ailleurs, d'un point de vue oenologique, il a été montré au cours d'études antérieures qu'en Bordelais il n'existe ni formation géologique ni type de sol détenant le privilège de la qualité. En conséquence, tout essai d'extrapolation des résultats de cette étude en vue d'une hiérarchisation des crus serait dépourvue de sens". Malgré cet avertissement clair et signifiant, c'est pourtant cette carte qui a servi de référence au bureau Véritas qui, en plus, semble confondre dans son interprétation zones hydromorphes (nappes stagnantes permanentes) et pseudogley qui désigne des sols à nappes temporaires...

Les doutes font oublier les mérites

Plus drôle et moins technique, l'analyse du foncier. Moins les parcelles étaient dispersées et plus le domaine gagnait de points. Ainsi Quinault, situé sur l'ancienne appellation "sables de saint-émilion" disparue au début des années 1970, dont le terroir compacté après des années de désherbants sans recours à la charrue se situe en limite du cimetière de Libourne (une partie avait été vendue à Carrefour pour réaliser son parking), a obtenu un point de plus que Cheval Blanc au parcellaire plus dispersé...

Tout cela validé par l'Inao, l'institut national des appellations d'origine, dont la vocation, nous semblait-il, était davantage de garantir l'origine justement, les terroirs, plus que de certifier la présence d'hôtesse et de salle de séminaire...

Le grand dommage aussi, c'est que ces doutes font oublier les mérites. Valandraud, Canon-la-Gaffelière, Larcis-Ducasse et quelques autres ont obtenu une juste récompense d'efforts considérables que les "histoires" ne devraient pas ternir...

Après, il y a les affaires d'hommes, les réseaux, les soupçons, les mises en cause. Tout ce qui peut faire douter et salir.

En 1937, le marquis d'Angerville et son ami Henri Gouges sont parvenus à faire reconnaître les appellations contrôlées en Bourgogne après des années de bagarre contre le négoce. Membres fondateurs de l'Inao, ils ont exigé qu'aucune mention grand cru ne soit accordée à Volnay et Nuits-Saint-Georges, leurs communes respectives. Pour que nul ne puisse les accuser d'en profiter. Autre époque...

Le classement d'aujourd'hui, quel que soit son futur, aura bien du mal à sortir de cet épisode en blanc virginal. À tel point que chez les incontestables, Cheval Blanc et Ausone, on s'interroge sur l'avenir : rester ou quitter. Après tout, leur notoriété n'en dépend plus !

Jacques Dupont
http://www.lepoint.fr/vin/saint-emilion ... 68_581.php
La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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