"Le marchĂ© des champagnes de vignerons se tient bien"Le prĂ©sident du Syndicat gĂ©nĂ©ral des vignerons de la Champagne depuis 2016, a dĂ©butĂ© son troisiĂšme mandat au printemps 2020 dans un moment de fortes incertitudes sur la situation de sa rĂ©gion dans les prochains mois.LE FIGARO. - Jamais, depuis des dĂ©cennies, les vignerons de Champagne nâont connu une fin dâannĂ©e chargĂ©e dâautant dâincertitudes. Comment se prĂ©parent-ilsâ?
Maxime TOUBART. - De mĂ©moire de vigneron, nous sommes confrontĂ©s Ă laplus grave crise quâait jamais connue la Champagne. 50â% des ventes se font en octobre, novembre et dĂ©cembre. Si NoĂ«l nâa pas lieu, nous allons nous retrouver dans une situation trĂšs difficile. Pour lâinstant, nous sommes Ă 230 millions de bouteilles vendues (au lieu de 301,9 millions de bouteilles en 2018 et de 297,5 millions en 2019, NDLR), mais il est possible que nous descendions plus bas.
Vous Ă©voquez un effondrement des ventes de lâordre de 30â% Ă cause de lâĂ©pidĂ©mie de coronavirus et de ses suites. Au bout du compte, cela pourrait-il ĂȘtre pire encoreâ?Tout est possible, dans un sens comme dans lâautre. Les rĂ©sultats peuvent Ă©galement se rĂ©vĂ©ler meilleurs que prĂ©vus : nous observons, malgrĂ© tout, un seuil limitĂ© dans la baisse des ventes. Les gens continuent Ă consommer du champagne en famille ou entre amis, en plus petit comitĂ©. Les mariages et les grands Ă©vĂ©nements ne sont pas les seules occasions. Câest ce qui nous laisse de lâespoir et peut nous sauver. Au bout du compte, la Champagne nâa que 280 millions de bouteilles Ă vendre. Ă lâĂ©chelle du monde, ce nâest pas beaucoup.
Vous Ă©voquez lâĂ©chelle du monde. Parmi les problĂšmes qui se posent aujourdâhui, quel est le plus grave : le ralentissement brutal de lâĂ©conomie française et de nombreux aspects de la vie sociale ou bien la baisse des exportationsâ?Les deux. Pour ce qui concerne lâexport, nous souffrons beaucoup dans quelques pays. Les Ătats-Unis et lâAngleterre, en particulier, qui sont deux trĂšs gros marchĂ©s. Et mĂȘme si un potentiel de dĂ©veloppement existe dans dâautres pays, nous ne rattraperons pas ailleurs les ventes perdues, cette annĂ©e, aux Ătats-Unis et en Angleterre. Ce qui nâest pas expĂ©diĂ© aujourdâhui ne le sera pas dans un mois. Nous resterons dans lâincertitude jusquâĂ la fin de lâannĂ©e et nous ferons les comptes en janvier. Il existe malgrĂ© tout un marchĂ© de champagnes de vignerons qui se tient bien grĂące Ă une clientĂšle particuliĂšre et une distribution plus facile. Une partie du marchĂ© français, notamment, rĂ©siste bien. Câest une bonne nouvelle, car nous ne nous y attendions pas. Mais hĂ©las, ce nâest pas lĂ que se trouvent les plus gros volumes.
Peu de temps avant lâĂ©pidĂ©mie de Covid-19, la Champagne avait dĂ©jĂ souffert, notamment de la sortie du Royaume-Uni de lâUnion europĂ©enne. En 2008, la crise financiĂšre mondiale avait dĂ©jĂ sonnĂ© le glas des annĂ©es fastes. Peut-on parler dâun problĂšme structurel, comme le font certains vignerons indĂ©pendants, et du manque dâune organisation nouvelle face Ă une situation mondiale porteuse de crisesâ?Nous sommes trĂšs tributaires du moral des Français, du moral des consommateurs de Champagne en gĂ©nĂ©ral et des crises internationales de toute nature. Mais la situation est nouvelle. Quand la dĂ©flation a frappĂ© le Japon au dĂ©but des annĂ©es 1990, cela ne concernait quâun seul pays. Quand lâĂ©conomie du Moyen-Orient est ravagĂ©e par des conflits, cela se concentre sur une seule rĂ©gion du monde. Quand on a eu la crise des subprimes, cela a principalement affectĂ© les Ătats-Unis. Pour la premiĂšre fois, nous sommes confrontĂ©s Ă une crise sans frontiĂšres, qui dure et qui nâa rien Ă voir avec celles que lâon connaissait auparavant. Ă cette occasion, nous nous rendons bien compte que nous Ă©tions peut-ĂȘtre trop prĂ©sents sur quelques gros marchĂ©s : il faut savoir que, si 50â% du champagne est vendu en France et 50â% Ă lâexport, au bout du compte, 90â% du champagne est consommĂ© dans cinq ou six pays au total. Nous devons trouver le moyen de diffuser plus largement pour ne pas ĂȘtre fragilisĂ©s Ă ce point lorsque lâun de ces pays est touchĂ© par une crise. En 2008, en 1992 ou en 1975, nous avions dĂ©jĂ traversĂ© des crises. Mais la France a toujours jouĂ© le rĂŽle dâamortisseur en termes de consommation de champagne. Pour la premiĂšre fois, nous avons Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă un arrĂȘt brutal sur la totalitĂ© de la planĂšte. Et aucun pays dans le monde nâa jouĂ© le rĂŽle dâamortisseur.
Face Ă lâabsence de grands Ă©vĂ©nements festifs, espĂ©rez-vous que ce rĂŽle dâamortisseur soit jouĂ© en France par une consommation particuliĂšre un peu diffĂ©renteâ?La Champagne est Ă un carrefour. Notre modĂšle est remis en cause. Aujourdâhui, la Champagne, ce sont 15â000 vignerons et 300 marques qui vendent 70â% du vin produit, chaque annĂ©e, sur un marchĂ© plutĂŽt international. Quand la situation est difficile, un retour en France sâimpose, avec des bouteilles probablement vendues moins cher, Ă des consommateurs plus jeunes. Nous allons voir ce qui va se passer, mais ce sera intĂ©ressant dâobserver le repositionnement des opĂ©rateurs, notamment les grandes marques.
Le vignoble champenois est organisĂ© de maniĂšre singuliĂšre, avec Ă la fois des marques de luxe, comme celles du groupe LVMH, des caves coopĂ©ratives et des vignerons artisans dont certains ont imposĂ© un trĂšs haut niveau de qualitĂ© et de rĂ©putation. Face Ă une crise dâune ampleur inĂ©dite, comment les reprĂ©sentants de ces trois systĂšmes distincts peuvent-ils conserver des intĂ©rĂȘts communsâ?LâintĂ©rĂȘt commun, câest dâabord celui dâune appellation forte. Elle est liĂ©e Ă la qualitĂ© du produit et dĂ©termine sa valeur. Ces dix derniĂšres annĂ©es, nous avons beaucoup abordĂ© ces sujets et pris conscience en Champagne que si nous ne revoyions pas certaines façons de faire, nous allions ĂȘtre mis en concurrence avec dâautres produits français et Ă©trangers. Tout est ouvert, aujourdâhui. Nous ne sommes plus lâunique vin de dessert ou dâapĂ©ritif. Continuer Ă faire de gros efforts pour rester placĂ©s trĂšs haut en termes dâimage demeure lâintĂ©rĂȘt unique de tous les opĂ©rateurs, quâil sâagisse des coopĂ©ratives, des vignerons ou des marques de champagne de maisons.
Cette poursuite de la qualitĂ© est-elle compatible avec lâĂ©largissement de la zone dâAOC Champagne, les plantations et lâaugmentation des volumesâ?Nous nâavons pas ouvert le dossier de la rĂ©vision de lâaire de lâAOC pour avoir des terrains en plus mais plutĂŽt pour sĂ©curiser le pĂ©rimĂštre gĂ©ographique de la Champagne. Il y a du potentiel en pĂ©riode haute, mais il est certain, dans le contexte particulier actuel, que la question du dĂ©veloppement de la production ne se pose pas. Le modĂšle champenois, qui Ă©tait de produire + 2 % par an, il y a deux dĂ©cennies, est remis en cause aujourdâhui. Nous sommes plutĂŽt sur un modĂšle de valorisation Ă +2â% par an en valeur, quitte Ă perdre un peu de volume. Mais lâambition de la Champagne nâest pas de passer en dessous de 300 millions de bouteilles. Le modĂšle est, selon moi, de produire 300 Ă 330 millions de bouteilles. 280 millions de bouteilles, ce nâest pas satisfaisant.
300 millions de bouteilles dans un ocĂ©an de 5 milliards de bouteilles de sparkling wines produites chaque annĂ©e, cela veut dire que le champagne est de plus en plus diluĂ© dans la production mondiale de vins effervescents. Comment continuer Ă exister dans un contexte de concurrence en termes de volume et de prixâ?Ce que nous avons Ă mettre en avant, câest lâexpĂ©rience singuliĂšre que restera toujours la dĂ©gustation dâun verre de champagne. Avec qui, dans quel cadre, commentâ? Le champagne a le don de rendre un moment magique et unique. La concurrence est utile dans la mesure oĂč elle nous remet en cause et nous oblige Ă revoir nos façons de travailler, nos modes dâorganisation et mĂȘme de vente. Aujourdâhui, 150 millions de bouteilles de champagne sont trĂšs bien vendues. Par contre les 150 autres millions sont moins bien vendues et il y en a peut-ĂȘtre 50 millions qui sont trĂšs mal vendues. Nous avons fait de gros efforts sur la qualitĂ©, je crois que ce nâest plus un sujet pour personne. Mais vendre du champagne loin et cher nâest pas donnĂ© Ă tous les vignerons. Cela ne peut se Âfaire que grĂące Ă une histoire. On le voit bien aujourdâhui. Ce qui a le vent en poupe, ce sont les champagnes de vignerons parce que derriĂšre leurs bouteilles, il y a des hommes et des femmes, des vies, une histoire familiale, des caves.
avis-vin.lefigaro.frAlex,