par milleret jean luc » Mar 4 Mai 2021 12:00
Un bel hommage d'Hervé Bizeul .....
AU REVOIR, À BIENTÔT
03/05/2021
Ainsi donc aurons-nous vécu en ce premier mai 2021 le dénouement d’une tragédie Languedocienne, le suicide de Laurent Vaillé, vigneron à Aniane.
Difficile de passer à côté de la nouvelle. Elle a fait le tour du Mondovino comme une mèche enflammée court vers un tonneau de poudre. Comme c’est désormais la coutume, le bal des hommages, émouvants ou sonnant terriblement faux est largement ouvert sur les réseaux sociaux… La chose est plus difficile cette fois-ci, tant le vigneron était réfractaire aux médias et aux photos forcées. Il n’envoyait jamais de vins en dégustation, était absent des guides, ne recevait pas, ou peu, voire mal les journalistes car comme nous tous, la critique de ceux qui jamais ne font et toujours jugent est parfois épineuse car loin du réel. Rares seront donc les éloges aptes à désaltérer la soif infinie de potins et de ragots de notre époque.
Le voilà apaisé.
J’aime à penser que quelque part, il y a un bar à vin, simple mais accueillant, une treille – du Seigneur ou pas –, une table où se retrouvent, peut-être, ceux qui comme lui ont fait ce choix. J’espère qu’ils sont en paix, ici, leur nom est vite oublié, qui se souvient encore d’Étienne ou de Denis… Les vignerons passent, le vin demeure et c’est bien ainsi.
Silencieux, parfois mutique, spécialiste de silences tout aussi profonds que son vin, au point qu’ils en devenaient parfois agressifs, donnant presque envie de s’enfuir, Laurent Vaillé était une énigme et, désormais, le restera.
Suis-je bien placé pour parler de lui, moi qui ne l’ai jamais rencontré ? Non, sans doute. Mais je suis touché, plus que je ne l’aurai cru. Je pensais souvent à lui, aurais aimé partager certains doutes, échanger des bouteilles et des avis, aller le voir peut-être, ou bien le recevoir. Boire un coup. On remet. Puis on regrette.
Certains verront dans cette disparition un drame. Quelle erreur. Dans le drame, on n’est jamais certain, les péripéties s’enchaînent, on peut être sauvé. Dans la tragédie, la fin est certaine, il n’y a, parfois dès le début, plus rien à tenter. « La tragédie, c’est pour les Rois » disait Jean Anouilh. « On est pris comme un rat, avec tout le ciel sur le dos, on n’a plus qu’à crier, – pas à gémir, non, pas se plaindre, – à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. »
De tous les genres littéraires, la tragédie est celui qui marque le plus un siècle, lui donne le plus de dignité et de profondeur. Ce n’est pas de moi, c’est de Roland Barthes. Un texte oublié, écrit à 27 ans, retrouvé par hasard par Philippe Roger (merci C.L.), dans un essai sur ce génie des mots, à qui je pense souvent quand la peur – non pas de la mort mais de la mort stupide – me saisit, lui qui fut emporté par une camionnette de blanchissage alors qu’il traversait, distrait.
Il choisit des mots forts : injustice, pathétique, fondement premier de l’humanité en ce que l’on est libre de ses choix. Tous ceux qui ont vraiment cotoyé Laurent intimement, qui ont respecté son intimité même lorsqu’ils connaissaient ses failles, ceux-là se taisent, pleurent et ne peuvent dire qu’une chose : qu’ils ne sont pas vraiment surpris. Que quelque chose ne collait pas, qu’il leur semblait percevoir un abîme, souvent, dont il arpentait le bord, alors même que le samedi, il appelait parfois ses clients pour ne parler de rien, laissait un message, juste, peut-être, pour sortir d’une solitude que personne ne pouvait imaginer. Un client, parfois, ç’est mieux qu’un ami. Plus fidèle surtout. Les plus fidèles savaient que la famille n’avait pas abandonné le maraichage, un peu de céréale, qu’elle n’était sans doute pas préparée à tout ça, à tout ce Barnum médiatique et commercial particulier au vin, qu’on espère puis que l’on exècre parfois.
Le monde vigneron, monde paysan, n’est pas simple, et, en tant que modèle social, ce n’est pas une planète de bisounours. Le temps n’y passe pas à la même vitesse qu’ailleurs, le progrès ne le pénètre qu’en apparence, les règles et des codes n’obéissent pas à la même temporalité. Même la gloire et la richesse, lorqu’ils arrivent, n’y changent rien. La solitude, dans la vigne, le sentiment de n’être rien par rapport à elle, ne peut-être expliqué, il faut le vivre. Le rapport au désir de l’autre peut-être compliqué, douloureux, même. La question du «non», qui devient à un certain niveau de célébrité, le mot le plus prononcé, devient un cailloux dans sa chaussure. Il n’y a pas de solutions.
Pourquoi me sens-je si proche d’un vigneron que je ne connaissais pas ? Je l’ignore. Je ne suis pas le seul. On m’en parlait souvent, peut-être parce que son domaine et le mien étaient plus que d’autre sous les feux de l’actualité, parfois. Comme si nous devions nous ressembler… Drôle d’idée. Je me souviens d’une vidéo, aperçue sur Internet (elle doit toujours y être) où, moqueur, il montrait combien sa réception de vendange était simple, presque indigne de la débauche technologique à la mode, son œil brillant du tour magnifique qu’il jouait aux châteaux célèbres, là où les signes ont remplacé le sens; d’une autre, où, acteur exécrable devant un vidéaste amateur se pâmant à l’idée d’une vidéo avec celui qui était pour lui une forme de Dieu, il n’avait répondu que par des « oui » ou des « non ». Le cauchemar du journaliste…
Il aimait se cacher, me dit-on. Mettre un bonnet, déguster incognito, sur un salon, en paysan. Se fondre, avec des amis inattendus, souvent anciens et fidèles, dans des férias improbables, boire, beaucoup, « en cachette », dans des lieux où l’anonyme « permet », où ce qui se passe à Béziers ou ailleurs reste à Béziers ou ailleurs.
Sa capacité au silence me touchait, moi qui, parfois, à l’insu de mon plein gré, me lance en dégustation dans des histoires qui fleurent bon Raimu ou Pagnol, qui me viennent de je ne sais où… Sans doute devrais-je moi aussi, parfois, tenter le silence.
Laurent le taiseux aurait peut-être aimé (mais lisait-il ?) découvrir Balthazar Gracian et son Traité de l’homme de Cour d’où me revient ce passage sur la puissance du silence et la qualité de celui qui sait se taire : Il n’y a point d’utilité, ni de plaisir, à jouer à jeu découvert. Se taire est le moyen de tenir les esprits en suspens, surtout dans les choses importantes, qui font l’objet de l’attente universelle. Cela fait croire qu’il y a du mystère en tout, et le secret excite la vénération. Dans la manière de s’expliquer, on doit éviter de parler trop clairement ; et, dans la conversation, il ne faut pas toujours parler à cœur ouvert. Le silence est le sanctuaire de la prudence. Celui qui se déclare s’expose à la censure, et, s’il ne réussit pas, il est doublement malheureux.
Laurent Vaillé était donc sage. Ou fou. Ou un peu des deux, sans doute, comme les grands vignerons qui marquent. Il restera dans le cœur de milliers d’amateurs de vin qui, c’est stupéfiant, éprouvaient en trempant leurs lèvres dans son vin des émotions intenses, d’habitude réservées à des boissons chamaniques, et ce bien avant que le succès, la gloire, le désir et le manque n’aient fait de la Grange des Pères ce qu’elle est aujourd’hui, : LE vin culte du Languedoc, et ce que, je le souhaite de tout mon cœur, il restera.
L’Occitanie du vin est en deuil, le manque s’annonce vif et cruel. Mais la vie doit continuer, la vigne pousser et être récoltée et puis la sortie est belle car, comme le dit encore si bien Roland Barthes : la tragédie permet de la beauté dans la sanglante lumière qu’elle projette; ou mieux encore, à approfondir cette souffrance, en la dépouillant, en l’épurant ; à nous plonger dans cette pure souffrance humaine, dont nous sommes charnellement et spirituellement pétris, afin de retrouver en elle non point notre raison d’être, ce qui serait criminel, mais notre essence dernière, et, avec elle, la pleine possession de notre destin d’homme.
Choisir son destin, c’est s’élever au-dessus du médiocre. «La tragédie se mérite comme tout ce qui est grand ». L’étonnant décalage entre l’incroyable gourmandise, le soyeux de texture, la générosité immédiate, l’envie même de danser qui semble parfois saisir l’amateur qui trempe ses lèvres dans une Grange des Pères et l’absolue pudeur, l’extrême sensibilité de son metteur au monde restera un mystère.
Toutes mes condoléances, mon respect et mon soutien à sa famille, à son frère, sa fille adoptive et son filleul qui vont, je n’en doute pas, magnifier désormais le domaine et la mémoire de Laurent Vaillé dans les années qui viennent. A eux d’entrer dans la lumière, car le Languedoc a besoin de ses phares.
P.S. : honte à ceux qui ont déjà démarré la spéculation sur le cru… Chaque bouteille, réceptacle désormais à la fois de la grandeur et la misère d’un homme si particulier, devrait être, à mon sens, épargnée de l’outrage de la revente et bue entre gens de bien, en riant fort et en célébrant sa mémoire.
ParHervé Bizeul 07 Commentaires
7 COMMENTAIRES
DUSSOURT CLÉMENT 04/05/2021 at 12:07
Merci à vous !!
Merci au monde paysan et viticole de lui rendre hommage, une légende est quelque chose que l’on pense pouvoir voir ou toucher un jour, je suis un simple amateur de bon vin et sa mort m’attriste mais continue à faire vibrer nos âmes, Laurent vaillé s’en va comme vous dite, son ombre planera toujours sur les belles vignes de la grange des pères….
Nous amateur sommes toujours à la recherche de vos grands vins convoité par le monde entier et ce sera un grand moment et un fin hommage quand j’ouvrirai ma seule grange des pères….
Merci encore et j’espère vous aussi un jour vous rencontrer