par jpabela » Sam 27 Jan 2024 22:07
Bonsoir à tous,
Au-delà des dégustations et malgré l’affluence importante (en particulier sur la journée de samedi et vendredi matin), j’ai essayé de passer du temps avec les producteurs afin de comprendre ce millésime « difficile » et l’approche qu’ils avaient adoptée et appliquée afin de répondre aux problématiques et challenges de 2021.
Vous trouverez ci-dessous un condensé de mes prises de note à la suite de ces discussions, ainsi que la traduction de leur/mon ressenti général de ce millésime 2021 sur l’appellation Côte-Rôtie.
Tout d’abord, le contexte de ce millésime pour appréhender de manière plus claire ce qu’il y a dans le verre !
Il y avait eu un grand coup de projecteur médiatique au printemps dernier sur l’épisode de gel en avril. De nombreux vignerons ont bien évidemment commenté cet épisode mais en poussant la conversation un peu plus loin, on comprenait qu’un des grands défis de ce millésime a été également la prolifération des maladies (mildiou, mouches drosophiles, oïdium sur des cépages blancs comme la roussanne) avec l’apparition parfois de pourriture dû à un mois de juillet très humide jusqu’à la mi-août.
Il fallait ainsi bien surveiller ses vignes, être bien présent dans les rangs et être très réactif pendant cette période. Les vignobles avaient besoin d’être travaillés (effeuillage, gestion de la canopée pour favoriser l’aération) ainsi que d’’être traités afin d’obtenir des raisins propres.
Il semblerait que certains producteurs ont été plus touchés que d’autres…Un producteur arguant que ce genre de situation favorise en général les plus petits domaines qui ont, de facto, moins d’hectares à traiter et se montrent ainsi plus réactifs et flexibles à condition de trouver les ressources humaines externes pour pouvoir traiter…
A partir de la mi-août, le temps s’est amélioré et a été bien plus sec – i.e. cinq à six semaines avant les vendanges – calmant un peu les choses.
Les vendanges ont en effet été tardives sur ce millésime – un mois plus tard que les millésimes solaires précédents. Il était important de ne pas se précipiter pour atteindre une maturité phénolique suffisante, afin d’éviter tout excès de verdeur dans l’aromatique de ce cru 2021.
Beaucoup de vignerons ont donc commencé à vendanger sur Côte-Rôtie aux alentours du 22/25 septembre pour finir début octobre.
Même si les rendements ont été bien moins catastrophiques que ce que certains producteurs prédisaient suite à l’épisode de gel au printemps dernier – beaucoup de vignerons affichant au final des rendements d’une petite trentaine hl/ha –, plusieurs vignerons m’ont souligné l’impact important du gel sur le cycle végétatif – avec des niveaux de maturité disparate d’une parcelle à une autre et même d’un pied à un autre (différences de maturité de plusieurs semaines parfois) en fonction des vignes qui avaient givré et celles qui n’avaient pas été impactées (du fait d’une floraison décalée).
Comme dans tous millésimes pluvieux, il est également à noter que les parcelles avec des sols partiellement argileux étaient plus en difficulté, contrairement aux lieux-dits plus rocailleux et donc plus drainants.
Un tri important et attentif devait être réalisé pour dégager un bon niveau qualitatif - car certains raisins se présentaient mal du fait d’une véraison non optimale, ou de la pourriture acide / de la pourriture grise.
En termes de vinification, j’ai eu l’impression que la majorité des producteurs ont préféré réduire légèrement la proportion habituelle de vendanges entières pour éviter toute trace excessive de verdeur – mais ceux pratiquant usuellement de la vendange entière ont tout de même rarement tout égrappé pour favoriser la « prise » de structure sur ce millésime.
Autre caractéristique de ce millésime : la très grande majorité des vins de Côte-Rôtie ont été chaptalisés sur ce millésime - même si on sentait une certaine gêne chez certains producteurs à l’évocation des pratiques de chaptalisation qui restent apparemment tabou.
Les plus « anciens » qui ont dégusté fréquemment des vins chaptalisés dans les années 1970/80/90 m’ont expliqué qu’on les reconnait par une légère perte de croquant et pureté du fruit en seconde partie de bouche.
Les vignerons transparents nous ont expliqué que les vendanges rentrées sortaient souvent entre 11° et un petit 12° ; beaucoup ont donc ajouté environ 1° par chaptalisation.
En ce qui concerne la macération – la « mode Parker » étant de plus en plus derrière nous – il n’est pas étonnant de voir que la très grande majorité des bons producteurs de l’appellation ne pratiquent que des remontages – très rarement des pigeages et lorsque c’est le cas, cela est plutôt réalisé aux pieds que mécaniquement – afin de chercher des extractions douces.
Je ne suis pas personnellement un grand fan des vins trop extraits – mais je pense que des extractions douces étaient d’autant plus clé dans ce millésime par rapport à ses caractéristiques.
Enfin, en termes d’élevage, là aussi, il ne fallait pas farder des vins qui ne disposaient pas d’une matière suffisante et d’une structure multi-étagée de grand millésime. D’ailleurs, certains producteurs utilisant du chêne neuf habituellement ont réduit sa proportion afin de ne pas trop déséquilibrer leurs vins et de ne pas masquer artificiellement/techniquement les aromatiques parfumées et élégantes de ce millésime. Pour illustrer mes propos, nous pouvons citer un producteur phare de l’appellation, le domaine GERIN – Alexis GERIN nous précisant qu’il n’avait utilisé aucun bois neuf pour ses 2021.
Du côté du verre…
Ayant été un millésime pluvieux (avec une pluviométrie totale tout de même inférieure à celle de 2014 mais bien supérieur aux années précédentes), 2021 a donc généré des Côtes-Rôties à la robe bien plus claire qu’à l’accoutumé, faciles et agréables à boire, avec un profil de fruit beaucoup moins opulent et immédiat que sur 2020 et surtout 2019 mais un fruit pur, « froid » et juteux, s’exprimant davantage sur des aromatiques de fruits rouges qu’à l’accoutumé (cerise, framboise), florales (parfois plus sur de la rose que de la violette et la pivoine plus habituelles dans le secteur) et souvent avec un trait vert/végétal plus ou moins noble et intégré à la complexité aromatique - en fonction du producteur.
Un profil qu’on pourrait définir de « bourguignon » chez certains - comme chez ROSTAING (Pierre ROSTAING acquiesçant ce constat) ou chez CLUSEL-ROCH qui selon moi ont présenté les gammes les plus consistantes sur 2021 (ROSTAING étant « off » du salon).
Il s’agit ainsi d’un millésime « à l’ancienne » - comme on en voyait couramment dans les années 1970 et 1980 à écouter les anciens et les producteurs (étant trop jeune pour faire moi-même cette comparaison) avec des niveaux d'acidité relativement élevés maintenant les vins très frais et très typés – des niveaux d’acidité qui pourraient s'atténuer avec le temps et qui garantissent une garde probablement bien plus importante qu’il n’y parait chez les producteurs qui ont bien travaillé.
Nous sommes donc face à un millésime en nette rupture avec la série de millésimes solaires précédents (de 2017 à 2020 même si chacun avait leurs propres caractéristiques et différences relatives) ; nous n’avions plus retrouvé de tels niveaux d’acidité et des vendanges si tardives depuis le millésime 2016 – même si 2021 ressemble davantage à 2014 et 2013.
Vous l’aurez compris - il ne s’agit pas de vins très charpentés ; on retrouve davantage des vins de demi-corps voire parfois de corps relativement légers pour l’appellation en particulier sur les entrées de gamme.
En revanche, j’ai trouvé que les trames tanniques étaient relativement élégantes, soyeuses et douces - parfois poudrées chez certains mais rarement anguleuses chez les bons producteurs de l’appellation – ce qui les rend agréables et faciles à boire dans leur prime jeunesse.
En conclusion, c’est certainement un millésime très hétérogène – les meilleurs vignerons se distinguant d’autant plus ! – et n’est pas un millésime de « haut niveau », mais je l’ai tout de même trouvé potentiellement attractif chez les meilleurs domaines avec des aromatiques parfumées fort agréables voire attrayantes/charmantes chez les meilleurs.
2021 représente presque un ovni dans notre « new normal environment » et est par conséquent un antidote intéressant contre les nombreuses années chaudes qui ont prédominé ces dernières années et qui seront encore le cas dans le futur (2022 et 2023).
Donc rien que pour son originalité contemporaine et son « clacissisme », je trouve que 2021 reste un millésime intéressant pour tout amateur (à condition de bien faire le tri entre les producteurs) et pour les restaurateurs qui s’y retrouveront dans ce profil plus « glou glou ».
Enfin, même si c’est un peu hors sujet, je pense que 2021 sera très beau en Rhône Sud chez les bons producteurs malgré les critiques américaines négatives avec des vins moins alcooleux, des acidités beaucoup plus hautes, des fruits moins confiturés et moins sur-cuits et des fins de bouche qui chaufferont moins.
Cela engendra de nombreuses cuvées grenache qui « pinoteront » chez les producteurs pratiquant de la vendange entière et de l’extraction douce (au-delà de Rayas, on peut évoquer Banneret, St Patrice, Chapelle Saint-Théodoric, Piedlong, Gour de Chaulé, La Manarine, Santa Duc, Clos du Caillou, Mayard, Panisse).
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jpabela le Sam 27 Jan 2024 23:53, édité 1 fois au total.