La Champagne sait produire des cuvées d'exception, issues de parcelles minuscules. Carnet de dégustation.
Dans une région où l'assemblage de cépages, de parcelles et de millésimes règne en maître, certaines maisons n'hésitent pas à produire des champagnes cousus main, provenant de parcelles minuscules. Tirées en nombre très limité, ces cuvées de prestige sont issues d'une seule vigne, souvent d'un seul cépage, et sont systématiquement millésimées. Ce sont les joyaux d'une région pourtant particulièrement fournie en belles pépites. Leur point commun ? Ces belles cuvées sont issues de vignes situées dans des clos ceints de murs n'excédant pas, sauf exception, 1 hectare.
Clos du Mesnil, l'antithèse de Krug. Lorsque l'on demande à Olivier Krug, l'actuel numéro deux de la maison fondée par ses aïeux, ce qui l'a poussé à produire le Clos du Mesnil, il vous explique que c'est l'histoire d'un hasard. Lorsque Krug rachète en 1971 un petit domaine de 8 hectares, il découvre un clos de 1,85 hectare. Ce clos Tarin, du nom de l'ancien propriétaire, était l'une des parcelles qui rentraient dans l'assemblage du champagne Salon. « Nous nous sommes vite rendu compte que les vins qu'il produisait étaient très différents », avance comme une excuse Olivier Krug. Pour lui, produire un champagne monocru, monocépage et monoannée est à l'opposé de la philosophie qui anime Krug « où l'assemblage est poussé à l'extrême dans la Grande Cuvée , souligne-t-il. Avec le Clos du Mesnil, nous sommes dans l'exceptionnel. » Krug cultive en effet la rareté avec 12 000 bouteilles produites sur le millésime 1998. Et la maison champenoise ne s'arrête pas en si bon chemin. Elle vient de sortir le Clos d'Ambonnay dans le millésime 1995, un pur pinot noir vendu environ 3 000 €.
Clos des Goisses, le trésor de Philipponnat. Rendons à César ce qui appartient à Philipponnat. Cette belle maison de Mareuil-sur-Ay, formidablement reprise en mains par Charles Philipponnat, a été la première à produire un vin de cru avec le clos des Goisses, une parcelle de 5,5 hectares située sur un coteau abrupt au-dessus du village. D'ailleurs, le clos tire son nom du vieux champenois gois, qui signifie « tâche pénible ». Les premières bouteilles ont été produites en 1935 et la maison cherche à le sortir aussi souvent que possible. « Sur les dernières années, 1994 n'a pas été commercialisé et 1987 n'a pas été élaboré », souligne Charles Philipponnat. Tiré en moyenne à 20 000 exemplaires, ce vin est issu d'un assemblage de pinot noir pour les deux tiers et de chardonnay pour un tiers. « Nous écartons chaque année en moyenne 50 % des raisins pour ne conserver que la meilleure matière première possible. »
Clos Saint-Hilaire, le dernier né de Billecart-Salmon. Lorsque la maison Billecart-Salmon plante en 1964 l'unique hectare du clos Saint-Hilaire (patron de Mareuil-sur-Ay où se situe cette parcelle) en pinot noir, elle pensait destiner la vigne à la production de vins rouges. Mais François Roland-Billecart décèle dès son arrivée l'immense potentiel du clos et décide d'en faire un champagne à part entière. Seuls deux millésimes, à savoir 1995 et 1996, sont aujourd'hui sortis des caves qui conservent jalousement les flacons d'années plus récentes. « Non seulement nous privilégions un élevage très long, d'au moins huit ans, mais le Clos Saint-Hilaire n'est pas destiné à sortir chaque année », indique Antoine Roland-Billecart, directeur export de la maison. « Nous ne produirons pas 1997, 2000, 2001 et 2003 », confirme François Domi, le chef de cave.
Vieilles Vignes Françaises, le saut dans le temps de Bollinger. Avec ce cru, vous faites un bond de plus de cent ans en arrière et entrez dans l'histoire préphylloxérique, à une époque où cet insecte n'avait pas encore ravagé la totalité du vignoble français. Le miracle des Vieilles Vignes Françaises est d'être issu de vignes cultivées comme au XIXe siècle, avant l'arrivée du phylloxéra. À cette époque, les vignes étaient « franches de pied », c'est-à -dire non greffées. Beaucoup étaient plantées en foule et renouvelées par provignage. Le provignage consiste à étendre la vigne en couchant en terre les pieds de l'année précédente. Les pousses enracinées donnent alors autant de nouveaux ceps. La vigne se propage donc au ras du sol de manière anarchique, « en foule » et non selon les rangs taillés au cordeau que nous voyons dans tous les vignobles. Cette technique est impossible à reproduire avec les porte-greffes actuels, seule variété à résister à l'insecte ravageur. « Miraculeusement, deux parcelles, à savoir les clos Saint-Jacques et Chaudes Terres, 36 ares en tout, continuent à résister aux attaques du phylloxéra », constate Jérôme Philippon, président du directoire de Bollinger. « La technique de la plantation en foule procure de très faibles rendements, ce qui permet d'obtenir des raisins à parfaite maturité », poursuit Mathieu Kauffmann, le chef de cave. Il en résulte des champagnes d'une incroyable complexité, dont la puissance est fabuleusement contrebalancée par une bouche franche et nette.
D'autres grandes cuvées
L'absence de clos stricto sensu n'empêche pas des maisons et vignerons de qualité de produire à leur tour des champagnes dont la philosophie est identique à celles des grands clos. Tel est le cas notamment d'Alain Thiennot qui, avec la Vigne aux Gamins, dédiée à ses deux enfants, signe un blanc de blancs d'une grande race. Ce grand champagne est issu d'une vieille vigne d'Avize 100 % grand cru. De même, Nicolas Maillart propose, lui aussi, un blanc de blancs d'exception avec Les Chaillots Gillis , issu de trois parcelles situées à Écueil. Enfin, la maison Leclerc-Briant nous livre La Ravinne, un champagne 100 % pinot meunier issu d'une parcelle, située à Verneuil, menée en biodynamie. « Les vins issus de cette parcelle sont si équilibrés qu'ils se suffisent à eux-mêmes et ne sont donc pas assemblés avec des vins d'autres terroirs du domaine », explique Pascal Lerclerc-Briant, propriétaire de la maison. Et, grand avantage, ces champagnes sont beaucoup plus abordables.
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