par julien dubertret » Mar 5 Nov 2013 20:39
Voici la suite à mon premier message post week-end. Entre temps de nombreux posts ont égayé la chronique et fait montrer les dents à notre ours grincheux préféré, j'ai nommé Vincent Ravenne. Je me joins au choeur pour clamer encore et encore "Vincent tu lis tout de travers, c'était un super week-end !!!!"
Cela n’empêche pas de se poser des questions. Et donc j'en reviens à ce choix que nous avons fait de déguster les vins à l'aveugle. Bien loin de moi l'idée de dire que c'est la mauvaise solution. Je ne suis pas sur qu'il y ait d'ailleurs une bonne et un mauvaise solution. Tout choix comporte ses inconvénients, inconvénients mineurs ou majeurs selon les sensibilités de chacun.
Donc en ce qui me concerne, j'avoue ne pas être très amateurs de l'aveugle. Je déguste depuis maintenant assez longtemps pour connaitre une grande partie de mes goûts avec assez de confiance, pour connaitre aussi mes zones d'ombres, et surtout l'infini de notre faillibilité, quelque fois l'étiquette m'impressionne, bien souvent elle rentre peu en compte dans mon impression générale. La dégustation à l'aveugle m'amuse quand elle me montre à quel point je suis ignorant, changeant, maladroit. Pourtant lorsqu'il s'agit de déguster les vins que les amis amènent elle présuppose plutôt notre infaillibilité : son socle étant celui de la non-influence de l'étiquette, elle suggère que si nous n'apprécions pas un vin, c'est tout simplement parce qu'il n'est pas bon ou pas à notre goût. Et qu'ainsi nous gagnons une liberté de pensée, de goûter. Mais diable, si nous sommes faillibles, en dégustant à l'aveugle nous pouvons louper un embranchement, un détail qui nous aurait permis de ne plus être aveugle, de voir le vin. Quand un écrivain ou un musicien que j'apprécie, que je suis de près, dit ou fait quelque chose, je ne trouve pas cela pour autant génial, je peux garder mon sens critique. Mais si je sais que c'est X qui a écrit cet article étrange, sans doute le lirai-je à nouveau, pensant que peut-être je n'ai pas vu à la première lecture l’intérêt, la subtilité, le génie présent dans ces lignes. Rien ne m'oblige d'adhérer en seconde lecture. Pour la peinture, la musique, c'est bien pareil. Quelque fois, ne sachant qui est l'auteur, le musicien, le peintre, nous nous focalisons sur tel ou tel trait qui nous déplaît, ou nous plait, sans prendre garde aux détails (les subtilités qu'évoquait Seb) et ainsi nous arrêtons notre jugement, le "sanctifions"...
Bien sûr quand je commençais à déguster j'étais plein d'à priori, positifs ou négatifs, les grands noms de la bourgogne, ou de bordeaux auraient valorisé la moindre piquette. Et un nom inconnu sur une étiquette m'aurait rendu plus que méfiant. Des à priori, des préjugés il en vient chaque jour de nouveaux, mais d'autres sont aussi balayés, on apprend à goûter, à lire, à se libérer d'un certain conformisme intellectuel et l'on fait son chemin. Ce chemin n'a pas de nom, il est unique et propre à chacun, il balaye les vérités, existe à chaque instant. Je bois du vin pour d'innombrables raisons, mais surtout pas pour devenir un grand compétiteur de la dégustation. Je n'aime pas la compétition, la compétition sépare, entraîne de la discrimination, et je crois que je cherche plutôt l'unité (l'harmonie dirait Vincent). Dans cette perspective, point besoin de me battre contre un vin et de me dire toi je t'aurai, je saurai qui tu es. Quand j'ouvre une bouteille il y a le monde entier à l'intérieur. En goûtant à étiquette découverte on a aussi la possibilité de boire sans se poser de question, d'être beaucoup plus disponible pour le vin lui même, le tout est de se libérer au maximum des idées préconçues. En goûtant à l'aveugle on ne se libère pas plus des idées préconçues (à mon avis), car des notes, des fragrances, des "défauts", des styles que nous associons immédiatement avec telle ou telle catégorie de vin, vient faire écran à notre pleine rencontre avec le vin, comme l'étiquette . On échappe pas à la faillibilité et j'ai l'impression que seul l'approfondissement de nos chemins personnels avec franchise nous permet de ne plus la craindre et de ne nous en foutre. Nous ne serons pas jugés sur l'autel du vin et l'homme à crée le vin pour voir et non pour être aveugle ! Donc oui pour le prochain épisode peut-être pourrions nous faire les deux, un repas étiquettes cachées et un repas étiquettes découvertes, et voir ainsi là où chacun de nous rencontre au mieux les vins qu'il boit.
Mais encore une fois loin de moi l'idée de dire que la dégustation à l'aveugle est une sottise. Je pense juste qu'elle n'est pas mieux qu'une autre, elle est autre et ne représente pas une panacée. Et qu'elle ne correspond pas à ce que je recherche, bien qu'à certains moments elle m’entraîne vers des endroits qui m'amusent beaucoup, et qu'elle me permette de rencontre le Vin Noir du domaine du Tunnel avec un énorme plaisir, merci Christophe ! Je conçois tout à fait que pour certains elle soit la voie royale, ou un très bon moyen d'avancer.
Pour finir par un exemple qui m'a frappé. Après les courses au marché du Puy Vincent, dans ma cave regarde avec envie les magnums de Muenchberg 2010 d'Ostertag, le soir nous le goûtons et l'alcool ressort. Déception pour Vincent quand il découvre l'étiquette. Connaissant les vins d'André, en ayant bu plusieurs fois dont ce 2010, pourquoi ne pas imaginer que ce ne soit pas que le vin (servi un peu trop chaud) qui est moins bon que prévu, mais que c'est aussi le dégustateur qui est fatigué, plus sensible à cet élément là et que sa prochaine rencontre sera sans doute différente ? Est-ce toujours le vin ? La perfection, le process infaillible n'existe pas, avant tout parce que nous sommes des êtres sensibles dans un monde d'une complexité infinie.
Au prochain numéro je vous livre mes impressions (partiales et partielles)à sur les vins dégustés.
Encore mille merci à vous tous.
Julien